Lignes de faille. Osé ! est tenté de dire le spectateur à la fin de cette pièce envoutante, d’adapter sur les planches ce qui ressemble à un roman fleuve. Pas de gouttes cependant dans ce flux, mais des mots, beaucoup de mots, à flots. Tant qu’on est submergé, et qu’on espère parfois comme le naufragé, un peu de répit dans ce tumulte, un silence, un regard, un geste, une attitude, bref, le langage d’un corps. Ils sont ici porteurs de voix : quelle performance ! Dire moins aurait sans doute distancié le texte écrit, mais sans doute aussi, mieux servi le jeu des acteurs.

Pièce de théātre de Catherine Marnas d’après le roman éponyme de Nancy Huston, 2006. Avec : Julien Duval, Franck Manzoni, … Plus

Habemus Papam. Crise de foi au sommet : ceux qu’on appelle cardinaux sont filmés comme des hommes espiègles et vaniteux, ambitieux et généreux, humbles parfois. L’un d’eux plus que les autres, doute de lui, de sa capacité à incarner le guide papal que tous attendent. Le film partage avec « Discours d’un roi » de Tom Hooper, 2010, cette idée que la force des grands naît de leur capacité à dépasser une faille intime. Irrévérence créative et joyeuse ! Mais, est-ce pour autant la fin des grands meneurs ?

Abemus Papam, film de Nani Moretti, 2011, 01h42min

Je suis allé voir le film pour elle, qui m’a fait rêver adolescent. Toujours aussi canon la bête, mais tout de même : la brader contre une 89 orange… Mammuth ? Un film un peu clip, un sketch un peu film, un clip un peu road, mais pas vraiment movie. Est-ce une ode à la gloire des simples ? Là ça devient glissant, on craint le condescendent, et il pointe son nez ça et là. Est-ce un chant à la gloire des purs ? Là ça va mieux avec le Pilardosse et sa nièce et sa femme. Mammuth est un drôle d’engin, hors normes, outrancier, inadapté, comme la Munch 1200 et son embrayage fragile.

Mammuth de Benoît Delépine et Gustave Kervernavec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Benoît Poelvoorde, Isabelle Adjani… 1 h 32.

Pianiste autocentrée, sa mère l’a façonnée ainsi. Etre la meilleure. Comment vivre la pre/pa/ssion de la musique (ou de toute autre chose) sinon en sacrifiant tout… son temps, sa sensibilité, son âme. Alors fuir ce qui n’y conduit pas, faire taire ce corps qui crie misère, le rabattre, le plier le contraindre, le soumettre. Ce corps, étrange désir, n’est pourtant pas idiot, ne cède pas, découvre trop tard qu’aimer est le risque des risques et veut le prendre, en catastrophe, au prix fort. Bouleversant.

Film français, autrichien, réalisé en 2000 par Michael Haneke, avec Isabelle Huppert, Benoît Magimel, Annie Girardot. Durée : 2h 10min.

Kandinsky amène sa peinture vers l’abstraction, la plie dans un vocabulaire formel, théorise une grammaire, invente une langue. C’est l’art livré à la science qu’on sent pressante, volonté impossible et touchante de mise en ordre de l’art. Calder fait migrer son dessin dans l’espace, cheminant tranquillement vers la simplicité des volumes qu’il confie à ses sculptures de fil. Quand à son cirque, c’est le labo, la poésie qui s’invente. C’est la quête du point d’équilibre, une suspension du temps et de l’espace qu’on sent passer sur soi.

« L’abstraction sous toutes ses formes » Calder et Kandinsky ensemble à Beaubourg (Paris) jusqu’au 20 juillet 2009 pour A. Calder, et jusqu’au … Plus

Montaigne fait de l’art une quête, de sa vie l’aventure d’écrire et d’atteindre la clarté, il fustige croyances et religions, il est d’une telle actualité malgré cinq siècles d’âge… Un acteur engage son corps entier qui court, trotte sur une ligne de temps, glissant d’une idée l’autre, jusqu’au vert gazon où la plaisanterie s’arrête. Grande idée du théâtre que ce vivant spectacle. On sort heureux d’avoir été effleuré par une pensée, par tant d’humanité, et, inestimable : on en sort un peu plus libre.

Montaigne – Nouveau Théâtre de Montreuil – salle Maria Casarès à Montreuil. Adaptation : Olivia Burton et Thierry Roisin. Mise en … Plus

Un espace et un temps en marge d’une vie électrique trépidante. Une vaste maison accueillante, un étang, un parc. Un havre de paix pour des gens comme vous et moi, mais fous, c’est-à-dire un peu plus que vous et moi. Jean Oury, puissant double de Félix Guattari, à eux deux peuplant une multitude. Une équipe qu’on découvre, soignants dont on sent que la fonction institutionnelle est relative et la présence d’individu essentielle. A chaque instant l’utopie et son bonheur palpables dans l’espace du langage.

“La Borde ou le droit à la folie”, film d’Igor Barrère (1977, 60’)

Un étang des chevaux. Une grande maison-château des arbres bruissants d’oiseaux en pagaille. Des fous des ritournelles des soignants se promènent dans le parc alentour. Surgie de l’intérieur une étrange créature, un danseur paysan en guenilles apparaît. L’aria d’une cantatrice crève l’air et lui, cherche dans ses entrailles les gestes enfouis d’une humanité bouleversante/bouleversée et/qui les trouve, les forme, nous les donne.

“Min Tanaka à la Borde”, film de Joséphine Guattari et François Pain (1986, 25’) sur la danse Butho de Min … Plus

Il est des esprits libres qui pensent et concoivent leur pratique comme ils l’entendent. Ron Arad est de ceux-ci, qui revendique « No discipline ». Le paradoxe de ses sublimes objets, parfois pièces uniques, souvent réalisés à tirages réduits, pour l’essentiel des chaises, fauteuils, canapés ; est qu’ils sont des artéfacts du repos. J’ai quitté l’exposition avec la drôle de sensation que se (re)poser serait bientôt non seulement devenu un luxe inabordable mais un fantasme inaccessible.

Exposition Ron Arad, jusqu’au 16 mars 2009, Centre Georges Pompidou – espace 315

Caos Calmo : comme une pédagogie de la réversibilité (ou non) des choses, processus, êtres et de leurs sentiments : de quoi réveiller la question de l’envers, du contraire, de l’éversion. Mais surtout s’installe une gracile suspension du temps – c’est là le centre du film si bien servi par Nanni Moretti – son point de rotation. Une agaçante intrigue politique prétexte puis une scène de sexe sortie de nulle part nous laissent mi figue mi raisin. Avec cette certitude que le parmesan est de trop sur les broccoli.

film d’Antonello Grimaldi – 10 décembre 2008