Ecritures éphémères – le workshop

Lorsqu’en France, j’avais pensé ce projet de workshop (2 ateliers), je l’avais fait avec une grande inconnue dont je savais qu’elle serait une donnée essentielle : la Chine à Hangzhou… On fait des rêves, on a des désirs, mais la réalité vient toujours donner le « La », et c’est heureux ! Notre projet se voit alors renégocié entre ces paramètres mais surtout au contact des singularités des étudiants qui composent le groupe.

Prévoir oui, bien sûr, comme on prévoit un itinéraire, on formule des propositions, nourrit des hypothèses, on pense à des possibles, à des variantes, on trace des plans, dessine des cartes… On s’y prépare c’est tout, comme un grimpeur prépare son physique, sa voie, son matériel ; comme un musicien prépare son jeu, son improvisation, qui est en fait un moment de grâce entre musiciens, entre recherche, expérimentation et création.

Ce qui se présente à vous, à nous, en groupe, au moment du workshop, est inédit, totalement neuf, aucun de ceux qui participent ne vivra jamais une autre fois ce moment là. Le prendre comme un cadeau, et le vivre dans l’attention de la rencontre (idées, formes, personnes) bien sûr, mais peut-être surtout dans l’énergie de la joie et du jeu. Entre concentration, expérimentation et libération, telle est l’énergie du workshop en arts. Du moins, telle est celle que j’aime vivre et pratiquer.

La réalité, qu’il faudrait en fait appeler le contexte, vient autant empêcher (ce que l’on pensait faire) que rendre possible (ce qu’on n’imaginait pas faire), découvrir ou enrichir, question de regard, et de disponibilité. Un apparent empêchement est souvent une chance de trouver une autre voie. On avait prévu de faire des prises de vues avec un drône, mais on ne l’a finalement pas… On pensait que nous serions au bord d’un lac à la campagne ? Nous n’y sommes pas. Nous sommes en ville, avec des coins verts, des routes, des immeubles, des places vertes, des bordures, des bois avec de petits lacs dans le grand parc, allons-y !

Lucheng et ses pochoirs
et le dévoilement de son texte…

Sans le drône, nous travaillerons à hauteur de grenouilles et de poissons, avec des perches, des échasses, des bambous, les formes viendrons de là. Le workshop est ce moment irremplaçable de méthode et d’improvisation, de lâcher prise et d’activité, d’individuel et de collectif. Il n’y a pas de modèle pour qui cherche ce qu’il n’a jamais vu, dit Paul Eluard. C’est là la philosophie du workshop, et ce devrait être selon moi, celle de l’école, mais c’est une autre histoire.

Entre mon ignorance de la langue chinoise, celle des étudiants de la langue française, il me semblait qu’avec les lettres dessinées d’Henri Michaux, les dessins lettrés de Cy Twombly, les pratiques calligraphiques du dishu, le light-painting des Marey et Picasso, quelques écrits dessinés de Brion Gysin, on pouvait rebondir ailleurs, vers des contrées plus personnelles. Entre nos deux ignorances, vivre une expérience commune, en faire un point de rencontre.

Déjà un beau programme que d’y aller y voir, image par image, d’en parler, les commenter, les alterner, les faire jouer. J’avais documenté le tout sur mon compte Pinterest en ligne, préparé depuis des mois, et remis à jour jusqu’à la veille du workshop.

Mais encore faut-il pouvoir y accéder car la Chine a fait savoir en juin que l’usage du VPN était interdit. La Chine a mis en place une censure de l’Internet, derrière ce qu’on a appelé une barrière numérique (ou grand firewall) : un filtre qui rejette toute demande de connexion à un site non chinois. Le seul moyen pour accéder à Internet en Chine était jusqu’ici d’utiliser un VPN (Virtual Private Network), c’est un logiciel que l’on installe sur son ordinateur, sa tablette ou son smartphone et qui créé un pont sécurisé et crypté entre vous et un serveur hébergé dans un pays tiers (que vous pouvez choisir). Cette solution désormais interdite devrait être soumise une demande de dérogation argumentée pour les entreprises qui voudraient l’utiliser, à compter de février 2018.

Il devenait donc difficile de préconiser aux étudiants d’accéder à des ressources historiques et documentaires interdites, accessibles, mais illégalement. Il devenait aussi difficile pour moi de donner un enseignement des théories et pratiques d’arts occidentales avec un Internet non pas borgne mais aveugle, amputé du reste du monde. Pas du tout l’idée que je me fais de la pratique des arts et manières de faire libres et ouverts, condition première de leur possibilité. Le sol alors se dérobe sous vos pas.

J’ai bataillé, quelques jours, quelques heures de chat sur la hot-line de l’Excellent ExpressVPN, en plusieurs fois car le logiciel se bloquait, obligeant à des redémarrages forcés de l’ordinateur. Suis tout de même parvenu à tester quelques options pour retrouver une connexion Internet complète, ça fonctionnait à nouveau, mais je savais que ce serait une solution fragile, et temporaire… pour pouvoir montrer le lendemain, les images choisies aux étudiants afin qu’elles nous servent de support à échanges.

Ouverture du workshop, ici avec Taro à la traduction

J’étais inquiet avant ce workshop, ni plus ni moins qu’avant chaque rencontre avec un nouveau groupe. Vont-ils venir ? S’y montrer présents ? Intéressés ? Saurai-je leur donner envie de rebondir ? De chercher leurs propres voies créatives ? Y trouveront-ils le plaisir de la découverte, de la rencontre avec une idée, un concept, une émotion, une forme ? L’inquiétude habituelle de l’enseignant en arts quoi.

A la première séance, ils sont tous là, bien noter leurs prénoms spatialisés sur un plan de table réalisé à la hâte, Kejun, Siwan, Xiao Tong, Xue, Lucheng, Zoé, Geng Jing, Sijia, Yufei, Na, huit filles et deux garçons, les arts attirent les filles plus que les garçons, alors que les artistes garçons sont largement plus visibles dans l’espace public… C’est semble-t-il un fait avéré, en Chine comme en France.

A la pause, ici avec Ting pour la traduction

J’avais prévu deux moments de pratiques collectives un peu ludiques sur les douze jours du workshop, sachant que dans mon calendrier personnel, ma lecture publique de « Pure Poésie » était prévue juste avant la fin du workshop… Il fallait articuler ces deux dynamiques différentes : me préparer à une lecture à 8 personnes dans plusieurs langues simultanées, préparer les livrets pour les récitants, la sono, la musique, etc ; et d’autre part ne pas laisser retomber la dynamique du workshop, à quelques jours de l’expo de fin de travaux.

Deux demi-journées thématiques donc, permettant d’entrer par la pratique dans les écritures éphémères, mettre la main à la pâte avec les étudiants dans des ateliers d’expérimentations : écritures liquides (rain-works) et écritures lumineuses (light painting). Le reste du temps étant composé de travail personnel pour les étudiants et de rencontres individuelles avec moi pour échanger sur leur projet personnel en cours de réalisation.

Avec les écritures liquides, l’occasion était donnée de réfléchir à la relation entre une forme et un contenu. Cet atelier consistait à écrire ou dessiner au sol (ou ailleurs) avec un pinceau, non pas chargé d’eau comme cela se pratique dans le dishu (calligraphie chinoise sur le sol, à l’eau, très populaire en Chine) mais d’un répulsif de l’eau. Ce que vous écrivez disparaîtra en quelques heures en séchant, mais ré-apparaîtra à nouveau à chaque fois que le support sera à nouveau mouillé. Idéal pour penser un dessin, quels mots, adressés aux passants, à chaque nouvelle pluie…

Sijia et ses poissons cherchant à rejoindre l’eau… ici avec l’aide de Romane
une fois secs, ils seront invisibles…
pour se révéler à chaque nouvelle pluie !

Pour le light painting, l’occasion était donnée d’envisager l’écriture de la lumière comme événement. Le principe de réalisation du light painting est simple mais demande quelques réglages et conditions. On se place dans une salle noire, avec un appareil photo (de préférence un réflex avec grand angle) sur trépied, réglé sur le mode Manuel (M), avec un diaphragme à F16, une sensibilité ISO à 100 et un temps de pause long (de 20 à 30 sec.). L’appareil devient ainsi une chambre d’enregistrement des événements lumineux que l’on organise devant lui, avec une bougie, un briquet, une lampe, un cierge magique… dans un temps plutôt long. Le procédé technique est simple, le maîtriser pour obtenir ce que l’on veut demande pas mal de pratique, d’essais, d’expérimentation et réglages différents selon les conditions d’exposition.

Marine, Romane, Taro et Ting (E-Art) se sont relayées pour traduire nos échanges lors des séances collectives en alternance des ateliers et des rendez-vous individuels avec les huit étudiants. Traductions nécessaires car à la différence du groupe de juin qui parlait français suffisamment bien pour qu’on travaille en direct, le groupe de juillet a fait avec moi son premier workshop en français et n’avait pas encore commencé ses cours de langue.

Qu’est-ce qu’ont donc produit les étudiants ?
Vous le saurez en lisant la suite de ce post : « écritures éphémères – l’expo« …