Ashot nous a envoyé une invitation à venir les écouter dire leurs poèmes et chansons ce dimanche soir à la maison humaine (Human House). Bien sûr, je vais y aller, trop impatient de le voir et l’entendre dans ses textes. J’y arrive en bus, et termine à pied. Un quartier qu’on dirait ici bobo, au vu du nombre de crèches et d’écoles maternelles privées, aux petites maisons bien arrangées.
Un petit air de bien connu qui me renvoie à Montreuil, Île-de-France, où je vis, mais aussi curieusement en Chine, où dans le quartier du centre d’Arts E-Art d’Hangzhou flottait la même douceur de vivre. Un atelier de calligraphie chinoise, un petit café à la française, une supérette, un coiffeur, des petits pavillons avec jardins, et bien sûr, jamais très loin, quelques barres d’immeubles bouchant l’horizon. Mais je m’égare en marchant, je ne suis ni en Chine ni à Montreuil, c’est ce parfum pourtant que je ressens ici à Tashkent. Mais ici, on pourrait douter de se trouver en ville, pas de barres, ni de tours à l’horizon, un ciel bas ce soir fait craindre une pluie qui ne viendra pas.
Puis c’est là que se dévoile la « maison humaine ». On passe entre les deux anges – rien d’étrange ne se produit – et traverse une boutique d’artisanat Ouzbek – c’est là l’étrange peut-être – je demande si c’est bien ici qu’a lieu la performance de poésie ce soir… Oui, bien sûr, tenez, allez jusqu’au petit bar qui est au fond et prenez à gauche, c’est là. Vous pouvez aussi vous installer où vous voulez dans le jardin en attendant.
Un petit Eden s’ouvre ici, délicieux jardin, dans une maison qu’on découvre, aux murs de pisé, de toits couverts de bois tressé et de tôles. Tout y est pensé pour goûter au temps qui passe, comme on boit un thé noir aux agrumes, par petites lapées gourmandes.
Je m’installe, d’abord seul, sors mon livre, mais suis bientôt rejoint par des groupes de touristes qui poussent des Ha et des Ho et des Whaou, en russe et en anglais, mais je comprends quand même leur étonnement, celui qui a été le mien en découvrant ce lieu si accueillant. Un photographe beau gosse commence à me shooter, je lui dis que non, ça ne m’intéresse pas. Il me dit « no problem »… Et continue de mitrailler. Je range mon livre, monte d’un étage, il ne me suivra pas ici, pensai-je avec raison. Vient l’heure, je descends pour prendre place dans la petite salle près du bar. Au pied de l’escalier, le photographe me montre alors ses photos sur l’écran de son appareil, un pro, son ami parle en russe et je comprends que c’est le moment de sortir les tunes si je veux des photos, je regarde le photographe et lui dit que je ne suis pas intéressé. Fin de l’histoire, il remballe et je vais m’installer dans la salle.
Ils sont tous là, les poètes et poétesses et leurs ami.e.s. De tous âges, les poètes, ça se mélange volontiers, ça parle entre les langues, je découvrirai tout au long de la soirée que s’ils parlent tous russe, ils viennent d’Arménie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, d’Ouzbékistan, and so on. L’anglais régional, ici, c’est le russe. L’assistance est tout ouïe, beaucoup ferment les yeux, un sourire aux lèvres, guettant le dénouement, la surprise, la chute ou le rebond.
J’ai reconnu Ashot dans l’assistance, il est au premier rang. Tellement absorbé que je suis par le décryptage des signes et des intonations, des prosodies variables, emballées ou suspendues que lorsque vient son tour, en toute fin, je ne pense pas à le prendre en photo… Pardon Ashot, je me rattraperai lorsqu’on fera « Nous les arbres », ensemble dans quelques semaines.
La session se termine et un thé nous attend, avec fruits secs et arachides. Ashot me propose de me joindre au groupe, ils vont poursuivre au restaurant, mais me prévient-il en souriant, tu sais, ici tout le monde parle russe… Oui, je comprends, enfin non, je ne comprends pas le russe, mais comprend oui. On se salue, je lui souhaite une bonne soirée. Je retrouve la rue dans le noir, l’air est presque frais, jusqu’au bus sur le boulevard, où la chaleur du smog urbain m’enveloppe de sa cape.