Chat-chien

Je l’ai rencontré ici, à la résidence, puisqu’il y habite, le chat noir des lieux. Un baroudeur bagarreur, recueilli par la généreuse Marine (Xinting), maîtresse des lieux la journée. La nuit c’est lui et moi. Il a quatre ans, de belle stature, un peu poussiéreux, il lui manque quelques poils par endroits. Il a de belles griffes, des coussinets très soyeux et des dents bien pointues. On a appris à se connaître, lui dans sa langue, qu’il a rose, et laisse pendre lorsqu’il dort, c’est-à-dire presque toute la journée. La nuit est son jour, il scrute le ciel de son œil jaune. L’autre, qu’il a gris vide et vitreux, il l’a perdu on ne sait trop comment, il y a longtemps, d’un coup de patte mal placé, peut-être.

Les premières semaines il cherchait le conflit, griffes dehors contre mes jambes, mais sans jamais appuyer, avec comme des griffes douces. J’ai commencé à jouer avec lui, d’abord avec une ficelle, puis peu à peu avec mes mains, qu’il mordait avec entrain, mais sans violence, même s’il m’a fait saigner une fois, mais c’était de ma faute.

Quand j’ai commencé à lui donner à manger, ça m’a donné un avantage indéniable. Il s’installait immanquablement sur mes genoux, après avoir essayé sans succès de se coucher sur le clavier du macbook. Une période câline a commencé, plus de griffes sorties, mais des miaulements très chinois, que je ne comprenais pas au début, c’est venu tout doucement. Je me suis mis à lui parler français, je veux dire, comme s’il me comprenait, et il s’est passé quelque chose. Il me répondait en chat chinois, que je comprenais, j’essayais de lui répondre en mélange de chat-chien français (j’ai eu un chien français et nous avons toujours un chat français, et je connais un peu leurs langues), et je crois qu’il me comprenait.

J’en ai eu la certitude quand j’ai trouvé qu’il avait adopté un comportement de chien (mon dosage chat-chien n’était sans doute pas parfait). Il n’était plus frotteur mais ne me lâchait plus pour autant, toujours à un mètre de moi, partout dans la maison : un soir il est venu, au deuxième étage, dans ma chambre, je lui ai envoyé ma tong sur la tête en grommelant que je ne voulais pas de lui dans mon lit. Le lendemain matin, il m’attendait dans l’atelier, attenant à la chambre, installé sur mon fauteuil. Il a patienté, le temps que je me lève, prenne ma douche, m’habille, et il est descendu avec moi, toujours à un mètre. J’ai commencé à l’appeler chat-chien, je crois qu’il était content que j’ai enfin trouvé son nom.

La journée quand je travaille, en bas dans le salon, que je me lève pour aller me faire un café, pisser ou ouvrir à un livreur, et que je reviens m’assoir, il est là, comme endormi, mais couché exactement à ma place. Sans même le réveiller, je le repousse délicatement à chaque fois d’un mètre. Ce dont il ne s’offusque pas, j’ai même parfois l’impression qu’il ricane et glousse intérieurement.

Je trouvais qu’il avait un appétit démesuré, quand j’ai compris qu’il partageait sa ration avec un copain, un rouquin très peureux. Un vagabond sans abri que je ne vois toujours que furtivement. Ils sont très potes je crois, un matou lui aussi, ils se bagarrent mais ça reste très bon enfant, et chat-chien lui cède volontiers l’accès à sa gamelle chaque jour. Une nuit ils m’ont réveillé, je suis descendu en colère parce qu’ils faisaient un barouf terrible. Il y avait là un troisième chat, inconnu, qui les défiaient dans l’escalier. J’ai poussé mon sifflement de combat spécial chats, il s’est sauvé et on ne l’a jamais revu.

Le lendemain, pas un mot de l’affaire bien sûr, je n’en ai pas parlé non plus, pour ne pas le mettre dans l’embarras. On a maintenant une relation tranquille, douce, amicale, il ne me cherche plus de crosses, moi oui, de temps à autre, il réponds alors volontiers à mes agaceries. Je crois qu’on est devenus amis, silencieux mais attentifs. J’aime le voir la nuit, assis sur le mur du perron, plissant les paupières de son œil jaune unique en direction de la lune.